Les puissances européennes s'efforcent de prolonger la guerre en Ukraine

Le chancelier allemand Friedrich Merz entouré d’Alexander Sollfrank (à droite), commandant du commandement opérationnel et Carsten Breuer, inspecteur général de la Bundeswehr, lors de sa première visite au commandement opérationnel de la Bundeswehr à Brandenburg, Schwielowsee, le samedi 28 juin 2025. [AP Photo/Michael Kappeler/DPA via AP, Pool]

Après quatre années de guerre, des centaines de milliers de soldats tués et des millions de réfugiés et de déplacés, la guerre menée par l'OTAN contre la Russie est dans l'impasse. Malgré l'aide logistique militaire et les 400 milliards d'euros versés à l'Ukraine depuis le début des hostilités, l'OTAN n'est pas parvenue à repousser les forces russes. Celles-ci progressent lentement mais sûrement.

Le régime ukrainien s'effondre sous le poids des scandales de corruption. Le président Zelensky a été contraint de limoger son plus proche conseiller, Andriy Yermak, et seulement 20 pour cent de la population voterait à nouveau pour lui. Plusieurs centaines de soldats désertent chaque jour. Malgré des méthodes de conscription brutales, l'armée ukrainienne ne parvient pas à recruter suffisamment de chair à canon pour le front.

Les États-Unis semblent désormais déterminés à se retirer de la guerre. L'envoyé de Trump, Steve Witkoff, a négocié un «plan de paix» avec la Russie – sans consulter le gouvernement ukrainien ni les alliés européens de Washington – qui associe la cession de territoires ukrainiens à des accords lucratifs pour les grands trusts américains.

La nouvelle ‘Stratégie de sécurité nationale’ de Trump, publiée la semaine dernière, ne désigne plus la Russie comme un adversaire, mais s'en prend désormais à l'Union européenne (UE). Elle accuse les dirigeants européens d'avoir des «attentes irréalistes quant à la guerre», se félicite de la montée des partis d'extrême droite en Europe comme d'un «motif de grand optimisme» et appelle à la dissolution de l'UE.

Lundi, Trump a réaffirmé cette position lors d'un long entretien avec Politico, où il a dénoncé l'Europe comme un ensemble de nations «en déclin» dirigées par des gens «faibles» qui ne savent pas quoi faire. «Ils parlent, mais ils ne font rien, et la guerre n'en finit plus», a-t-il vitupéré.

Les puissances européennes, menées par l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni, réagissent en faisant tout leur possible pour prolonger le bain de sang en Ukraine et bloquer les plans de Trump. Elles ne recherchent pas la paix, mais une poursuite de la guerre. Ces derniers jours ont été marqués par des sommets avec Zelensky, des échanges téléphoniques avec Trump, des contre-propositions à son «plan de paix» et des tentatives d'escalade militaire.

Les puissances européennes visent deux objectifs principaux. Elles veulent empêcher l'Ukraine de céder définitivement des territoires à la Russie, territoires qu'elle ne pourrait récupérer ultérieurement en cas de modification du rapport de forces. Elles exigent également des «garanties de sécurité» pour l'Ukraine. Même si le pays renonce à son adhésion formelle à l'OTAN, il est destiné à devenir un avant-poste lourdement armé de l'OTAN qui maintiendra la région dans un état de tension permanent et pourra raviver les hostilités à tout moment.

Le président français Emmanuel Macron plaide depuis longtemps pour le déploiement de troupes françaises en Ukraine, et le gouvernement britannique a pris des engagements similaires. L'Ukraine doit également devenir un pôle de production d'armements européen et être équipée de missiles capables de frapper en profondeur le territoire russe. La Commission européenne et plusieurs États membres ont déjà alloué des sommes considérables à cet effet.

Moscou ne peut accepter de telles «garanties de sécurité» après avoir mené une guerre de quatre ans pour empêcher l'OTAN de s'étendre davantage et de s'implanter en Ukraine. Les garanties exigées par l'Europe visent à saboter un accord et à assurer la poursuite de la guerre, avec le soutien, ou du moins l'acquiescement, des États-Unis.

Il est toutefois peu probable que Washington se rallie aux manœuvres européennes. Les observateurs politiques estiment désormais que l'alliance avec les États-Unis est irrémédiablement rompue et que l'Europe poursuivra seule ses intérêts impérialistes à l'avenir, et, si nécessaire, contre les États-Unis.

L'édition papier de Der Spiegel paraît ce week-end avec en gros titre: «Comment Trump et Poutine s'attaquent à l'Europe: deux gredins, un seul objectif». L'article à la une affirme:

Tant que les caméras tournent, les dirigeants européens louent scrupuleusement les efforts de médiation de Trump.[…] Mais dès qu'ils se retrouvent entre eux, ils ne cachent pas qu'ils ne considèrent pas Trump et son entourage comme des alliés, mais comme des rivaux qui sympathisent davantage avec Vladimir Poutine qu'avec leurs anciens partenaires.

Der Spiegel conclut :

L'Europe ne pourra survivre que si elle tient tête à la Russie et renforce son indépendance vis-à-vis des États-Unis [….] L'UE n'est pas sans défense, même si elle peut en donner l'impression actuellement. Il lui suffit d'être prête à user de sa puissance. Elle abrite plus de 450 millions d'habitants et, avec un produit intérieur brut de 18 000 milliards d'euros, elle demeure la deuxième puissance économique mondiale après les États-Unis. L'Europe dispose des ressources financières et du savoir-faire technique nécessaires pour construire des drones, des chars et des avions de chasse […]Trump ne pourra humilier l'Europe que si celle-ci se fait elle-même petite.

C’est là un programme de militarisme débridé. Depuis quatre ans, la propagande officielle justifie le soutien militaire à l'Ukraine par le mensonge qu’il s'agit de défendre la démocratie et les «valeurs occidentales» contre une guerre d'agression arbitraire, alors même que l'OTAN a délibérément provoqué la guerre en s'étendant vers l'est.

Mais maintenant que la guerre est dans l'impasse, que les États-Unis cherchent un accord avec Moscou, que Zelensky se révèle être un oligarque corrompu et que la résistance à ce bain de sang absurde grandit au sein de la population ukrainienne et européenne, Der Spiegel met au jour le véritable motif: l'Europe doit se doter de «drones, de chars et d'avions de chasse» pour ne pas se faire «marginaliser», autrement dit, pour pouvoir jouer le rôle d'une grande puissance militaire dans un monde de conflits impérialistes.

On trouve des dizaines de commentaires similaires. Le Journal IPG de la Fondation Friedrich Ebert, affiliée au Parti social-démocrate, déclare:

L'hégémonie bienveillante de l'autre côté de l'Atlantique est en train de devenir une puissance mondiale qui, à l'instar de la Russie, tente d'affaiblir l'UE et d'imposer sa vision politique à l'Europe. Aucun compromis ni solution intermédiaire n’est envisageable.

En réponse, le Journal IPG appelle à un «serment de Rütli européen», en référence au début supposé de la rébellion de l'ancienne Confédération suisse contre les Habsbourg au XIVe siècle. Il affirme qu'il est nécessaire «de réduire drastiquement les dépendances de l'Europe en matière de politique de sécurité, de mettre en place une industrie européenne d'armement pour des systèmes centraux permettant à l'Europe d'agir de concert, de renforcer les relations économiques et politiques avec les autres régions» et de consolider les institutions internationales «contre l'influence de Washington».

Et Stefan Meister, du Conseil allemand des relations étrangères (acronyme allemand DGAP), écrit dans Die Zeit: «Seule une Europe capable d'agir, qui assume ses responsabilités militaires, financières et en ce qui concerne l'intégration de l'Ukraine à l'UE, peut devenir un acteur dans les négociations visant à mettre fin à la guerre.»

L’insistance de l’Europe sur des «garanties de sécurité» inacceptables pour la Russie, et son engagement à prolonger la guerre, non seulement intensifient les souffrances et les destructions en Ukraine, mais risquent d’entraîner toute l’Europe dans un conflit catastrophique avec la Russie, puissance nucléaire. Cette politique est indissociable d’attaques menées contre la classe ouvrière. Dans sa lutte contre le «gredin» Trump, la bourgeoisie européenne adopte ses méthodes fascistes.

L'augmentation prévue des dépenses militaires à 5 pour cent du PIB dans les années à venir entraîne déjà des attaques massives contre les retraites, la santé et les services sociaux. En France, la réforme des retraites de Macron a déclenché des manifestations de masse; il ne se maintient au pouvoir que grâce au soutien des sociaux-démocrates. En Belgique, au Portugal et en Italie, des grèves générales ont éclaté en réaction aux budgets d'austérité. En Allemagne, les désaccords sur la réforme des retraites – notamment la forte réduction des pensions – menacent la stabilité de la coalition gouvernementale CDU/CSU et SPD.

Mais poursuivre la guerre sans le soutien des États-Unis et intégrer l'Ukraine à l'UE coûtera encore plus cher. L'aide militaire à l'Ukraine a déjà fortement diminué cette année, l'Europe n'ayant pas pu compenser les versements américains manquants, qui couvraient auparavant la moitié des dépenses.

Les besoins financiers de l'Ukraine pour les deux prochaines années sont estimés à 136 milliards d'euros. L'UE veut utiliser les avoirs gelés de la banque centrale russe détenus par Euroclear en Belgique pour couvrir ces dépenses. Mais le gouvernement belge s'y est jusque là fortement opposé, craignant d'être tenu responsable d'un vol flagrant qui violerait le principe d'immunité des États en vertu du droit international.

À cela s'ajoutent les effets de la guerre commerciale mondiale. La production industrielle en Allemagne, pays le plus puissant économiquement de l'UE, est en chute libre. Entre l'été 2024 et l'été 2025, 114 000 emplois relativement bien rémunérés y ont été perdus en un an, soit près de 10 000 par mois.

La classe dirigeante européenne se prépare à une escalade majeure de la lutte des classes. À l'instar de Trump, elle réagit en intensifiant la persécution des migrants, en instaurant un État policier, en renforçant les partis d'extrême droite et en persécutant l'opposition politique. Le militarisme et la démocratie s’excluent mutuellement.

Les travailleurs doivent se préparer à des luttes de classes acharnées. La défense de l'emploi, la lutte contre les coupes budgétaires dans les dépenses sociales et la lutte contre la guerre et le militarisme sont indissociables les unes des autres. Elles exigent la création d'un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale pour renverser le capitalisme et bâtir une société socialiste.

(Article paru en anglais le 12 décembre)

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