Les souverainistes québécois ont accueilli avec enthousiasme une récente résurgence du mouvement indépendantiste albertain cultivée par la Première ministre ultra-droitière de l’Alberta, Danielle Smith. Cette sympathie envers un mouvement réactionnaire, connu entre autres pour son anglo-chauvinisme à l’encontre des travailleurs francophones du Québec, montre une fois de plus que les prétentions «de gauche» du séparatisme québécois sont une immense fraude.
En mai, Smith a promis de tenir un référendum sur la séparation de sa province du Canada en 2026 si une pétition citoyenne à cet effet recueille suffisamment de signatures.
Bien qu’elle ne fasse pas campagne pour l’indépendance de sa province pour le moment, s’y disant elle-même personnellement opposée, Smith est déterminée à alimenter le mouvement indépendantiste albertain pour s’en servir contre le gouvernement fédéral et imposer son plan de développement à plein régime des abondantes ressources en pétrole et en gaz naturel de la province au profit de la grande entreprise.
Son gouvernement du Parti conservateur uni (PCU) a récemment fait adopter une loi à l’Assemblée législative de l’Alberta pour réduire de façon drastique le nombre de signatures requis pour déclencher l’obligation de tenir un référendum, le faisant passer de 600.000 à environ 117.000 et rendant presque inévitable la tenue d’une consultation populaire sur l’indépendance de l’Alberta.
Le mouvement séparatiste albertain a été historiquement associé aux efforts de la grande entreprise dans l’Ouest canadien pour exploiter et exporter les vastes ressources énergétiques de la région sans contraintes réglementaires ou fiscales au niveau fédéral. Il a aussi tissé des liens étroits avec l’extrême droite. Plusieurs de ses promoteurs actuels proviennent du «Convoi de la liberté», un mouvement fascisant qui a occupé la capitale canadienne d’Ottawa en février 2022 pour forcer le gouvernement fédéral à éliminer ce qui restait des mesures de santé publique face à la pandémie de COVID-19.
Danielle Smith est elle-même issue du mouvement ultra-droitier du Wildrose Party, qui a fusionné en 2017 avec le parti conservateur de l’Alberta pour former le PCU, initialement sous la direction de Jason Kenney, ancien ministre sous le gouvernement fédéral conservateur de Stephen Harper.
Élu Premier ministre de l’Alberta en 2019, l’ultra-droitier Kenney allait démissionner trois ans plus tard sous les accusations internes d’être trop mou. Smith lui succéda à la direction du PCU et comme Première ministre de l’Alberta en mobilisant les forces les plus réactionnaires de la société, dont l’extrême droite, les conservateurs sociaux, les anti-vaccins et les climato-sceptiques.
Durant les dernières élections fédérales, Smith a prédit une «crise d’unité nationale sans précédent» si le prochain gouvernement à Ottawa ne se plie pas aux exigences du grand patronat dans l’Ouest canadien. Celles-ci comprennent entre autres: la construction de nouveaux pipelines; la levée des restrictions environnementales à la production de pétrole et de gaz; la réduction des impôts sur la grande entreprise; et une refonte du programme fédéral d’aide aux provinces les plus pauvres (connu sous le nom de péréquation) afin d’abolir en particulier les transferts accordés au Québec.
Smith utilise aux mêmes fins la volée de nouveaux tarifs douaniers imposée par Donald Trump, ainsi que ses menaces d’annexer le Canada en utilisant la «force économique», pour obtenir le soutien de l’aspirant dictateur à ses plans d’augmentation massive de la production énergétique de l’Alberta et de son exportation vers les États-Unis.
Critique de la réponse nationaliste «unie» des autres provinces, des partis politiques fédéraux et de la bureaucratie syndicale, Smith cherche à conclure son propre accord avec Trump, qu’elle a visité à plusieurs reprises tant à Washington qu’à son domicile de Mar-a-Lago.
Elle vise à intégrer l’Alberta au sein d’une «Forteresse Amérique du Nord» dirigée par les États-Unis en mettant les énormes réserves énergétiques de la province au service des plans de Trump pour la domination énergétique, dans le cadre de son objectif plus large de maintenir l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain au moyen de l’agression économique et militaire la plus débridée.
Malgré leur objectif réactionnaire évident, les déclarations de Smith ont été accueillies avec enthousiasme par les sections souverainistes de la classe politique québécoise.
Paul St-Pierre Plamondon, le chef du Parti québécois (PQ), a affirmé qu’il était «totalement d’accord» avec Smith et qu’il se réjouissait de la possibilité d’un référendum qui démontrerait que «d’autres provinces sont capables de se tenir debout devant le fédéral».
Sans aller jusqu’à parler ouvertement d’une alliance entre son parti et le PCU, Saint-Pierre Plamondon a laissé entendre que le mouvement pour l’indépendance de l’Alberta servirait les intérêts des souverainistes québécois en créant «un rapport de force» en faveur des provinces et en remettant en doute «l’unité canadienne».
Le chef du PQ a passé complètement sous silence les motifs de la Première ministre de l’Alberta, se contentant d’évoquer de vagues «divergences de point de vue», une référence oblique à la domination de la politique albertaine par les intérêts pétroliers et gaziers.
Historiquement, la classe politique québécoise, particulièrement ses sections souverainistes, ont utilisé leur supposée «opposition» à l’exploitation du pétrole dans l’Ouest canadien pour se donner un vernis «progressiste» et «environnemental», profitant du fait que la classe dirigeante québécoise retire peu ou pas de bénéfices du secteur énergétique albertain.
Si des réserves importantes de pétrole étaient découvertes au Québec, ce discours pro-environnement serait vite oublié. En fait, en 2013, le gouvernement péquiste de Pauline Marois a investi des dizaines de millions de dollars dans des entreprises privées et modifié la réglementation à leur avantage pour promouvoir l’exploration pétrolière en Gaspésie et dans le golfe du fleuve Saint-Laurent sous le slogan: «Nous allons exploiter le pétrole du Québec».
Ce n’est que lorsqu’il s’est avéré qu’il était impossible de tirer des profits suffisamment juteux de ces gisements difficilement accessibles que le PQ a cyniquement changé son fusil d’épaule et proposé un projet de loi pour interdire l’exploitation pétrolière au Québec.
Si le PQ est prêt à se rapprocher des forces indépendantistes ultra-droitières de l’Alberta, c’est qu’il se place lui-même de plus en plus à l’extrême droite de l’échiquier politique comme le promoteur le plus débridé du chauvinisme québécois anti-immigrants.
Fermement placé à la droite du gouvernement de la Coalition avenir Québec de l’ancien PDG François Legault, le PQ attaque constamment les immigrants qu’il accuse d’être responsables de tous les maux sociaux et économiques et fait la promotion d’une version québécoise de la théorie fasciste du «Grand remplacement» selon laquelle le gouvernement fédéral comploterait pour faire disparaitre le «peuple québécois» francophone dans une mer d’immigrants portés à parler l’anglais.
Dans son plan en matière d’immigration publié en octobre dernier, le PQ adopte le langage et les demandes de l’extrême droite, y compris des mesures de répression des immigrants copiées sur celles de la «Forteresse Europe» où des milliers de migrants meurent chaque année noyés ou brutalement assassinés par les violentes polices des frontières.
Le PQ y avance l’idée que seule l’indépendance du Québec lui permettrait d’avoir «le plein contrôle» en immigration pour mettre en œuvre toutes les politiques de son plan.
En mettant ainsi ses idées d’extrême droite en immigration au cœur de son argumentaire pour l’indépendance du Québec et en appuyant la Première ministre ultra-droitière de l’Alberta sur la base d’intérêts communs liés à l’indépendance de leur province, le PQ abandonne définitivement les vieilles prétentions «progressistes» du mouvement souverainiste – l’idée frauduleuse qu’un Québec devenu indépendant du Canada serait un véhicule pour le progrès social dans une société ouverte.
Le PQ a été formé à la fin des années 60 par des sections de la classe dirigeante sur la base qu’un Québec indépendant serait plus à même de défendre les intérêts de la bourgeoise francophone.
Au même moment, la classe ouvrière internationale était partout engagée dans des luttes de masse ayant des implications révolutionnaires. Sur la scène canadienne, c’est au Québec que ce mouvement a pris le plus d’ampleur. Le séparatisme québécois a été l’instrument politique et idéologique par lequel la classe dirigeante a pu contrôler et torpiller la puissante vague de luttes ouvrières militantes qui posait objectivement un défi à tout l’ordre capitaliste en Amérique du Nord.
Avec l’appui critique des centrales syndicales, et la couverture politique fournie par divers groupes des classes moyennes qui dépeignaient le séparatisme québécois sous de fausses couleurs «progressistes», le PQ a été porté au pouvoir en 1976 sur la base de vagues promesses de réformes sociales.
Son chef René Lévesque a rapidement abandonné ses appels au changement social et s’est avéré un fervent ennemi de la classe ouvrière et adepte de la «loi matraque» pour briser les grèves et imposer des baisses de salaire.
Chaque fois qu’il a gouverné le Québec durant les années 80 et 90, le PQ a imposé des politiques brutales d’austérité capitaliste qui, couplées à l’intégration de plus en plus grande de l’économie mondiale, ont complètement discrédité le programme indépendantiste québécois parmi de vastes couches de la classe ouvrière.
Le PQ tente maintenant de réhabiliter ce programme en basant ouvertement son appel séparatiste sur le socle ultra-réactionnaire de l’exclusivisme national. Dans cette version du séparatisme québécois, le PQ propose une république capitaliste du Québec qui, en plus d’accélérer le démantèlement des services publics et de participer activement aux crimes de l’impérialisme en tant que membre de l’OTAN, persécuterait les migrants et les réfugiés.
Les travailleurs du Canada doivent rejeter le nationalisme et toute forme de régionalisme. Qu’il soit québécois ou albertain, favorable ou non à l’indépendance d’une province ou d’une autre, le nationalisme est une arme idéologique de la classe dirigeante pour diviser les travailleurs d’avec leurs frères et sœurs de la classe ouvrière canadienne et internationale et les amener à se ranger derrière «leur» bourgeoisie.
Les travailleurs doivent s’opposer tout aussi énergiquement au nationalisme canadien et à la promotion de l’État fédéral, qui sont mis de l’avant par les sections dominantes de la classe dirigeante pour subordonner politiquement les travailleurs à ses propres efforts pour protéger ses profits et les intérêts de l’impérialisme canadien, sous le prétexte frauduleux de «tenir tête» à Trump.
Alors même que Trump bombarde l’Iran en violation flagrante de la loi internationale et réprime violemment l’opposition populaire à ses raids contre les immigrants dans le cadre d’un coup d’État contre la constitution américaine, le gouvernement fédéral de Mark Carney tient des discussions secrètes avec l’aspirant dictateur pour accomplir l’une des priorités annoncées lors de son discours du Trône, la négociation d’une «nouvelle relation économique et de sécurité entre le Canada et les États-Unis».
Les travailleurs n’ont rien à gagner, ni d’une guerre commerciale avec les États-Unis ni d’une nouvelle entente économique desservant uniquement les intérêts de la grande entreprise. Les travailleurs canadiens doivent mettre leur propre programme de l’avant, celui de la mobilisation de la classe ouvrière internationale dans une lutte commune pour la réorganisation de la société, au Canada comme aux États-Unis et partout ailleurs dans le monde, sur des bases socialistes.