En Nouvelle-Calédonie et dans la région pacifique, l'impérialisme français cible la Chine

Le président français Emmanuel Macron a présidé le 10 juin un sommet Pacifique-France, en marge de la Conférence des Nations Unies sur les océans qui s'est tenue à Nice du 9 au 13 juin.

Les dirigeants de Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Palau, Samoa, Tonga, Fidji, des Îles Marshall, de Kiribati, des États fédérés de Micronésie, des Îles Salomon, de Vanuatu, des territoires français de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna étaient présents, ainsi qu'une délégation du Forum des îles du Pacifique dirigée par son secrétaire général, Baron Waqa.

Le secrétaire général du Forum des îles du Pacifique, Baron Waqa, salue le président français Emmanuel Macron. [Photo: Pacific Islands Forum]

Macron a souligné la «coopération» de la France avec le Pacifique aux niveaux «stratégique et militaire». Il a évoqué l'«Académie du Pacifique», un centre de formation basé à Nouméa pour les forces de défense et de sécurité de la région, ainsi que des exercices militaires conjoints réguliers visant à renforcer «la crédibilité commune pour protéger nos zones et lutter contre la pêche illégale».

La lutte contre la «pêche illégale» est le prétexte utilisé par les États-Unis et d'autres puissances impérialistes pour justifier le renforcement militaire qu’ils dirigent contre la Chine. Parallèlement à l'extension des bases militaires et aux exercices navals provocateurs, des garde-côtes américains armés sont déployés en permanence aux Samoa américaines et à Guam pour contrer les «activités chinoises» et provoquer Pékin.

En juillet 2023 Macron avait entrepris une tournée de cinq jours en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et en Papouasie-Nouvelle-Guinée afin de faire valoir les intérêts impérialistes de la France en tant que puissance du Pacifique. Il adopta une posture d’acteur «indépendant» dans la région, encourageant les gouvernements locaux à «diversifier» leurs partenariats au-delà de Pékin et de Washington.

Au cours des six derniers mois, les navires de guerre français, menés par le porte-avions Charles de Gaulle, ont participé à une série d'exercices multinationaux, La Pérouse, Pacific Steller et Southern Cross, dans l'Inde-Pacifique, tous visant à renforcer «l'interopérabilité» entre forces respectives et à un déploiement de deux mois du groupe aéronaval français.

Macron a également déclaré aux dirigeants de la région qu'il maintiendrait la diplomatie française «en lien très étroit avec nos intérêts communs dans le Pacifique», notamment avec l'ouverture d'une nouvelle ambassade aux Samoa. Il a salué le rôle «central» joué par le Forum des îles du Pacifique, qui bénéficiera de 2 millions d'euros destinés au Fonds de résilience du Pacifique.

La politique anti-chinoise à peine déguisée de cette réunion a été soulignée par le ministre néo-zélandais des Affaires étrangères, Winston Peters, qui a exhorté les nations du Pacifique à « se serrer les coudes en tant que région » contre les « forces extérieures » utilisant « l’intimidation, les cajoleries et la contrainte ». Il a déclaré que la Nouvelle-Zélande saluait « l'engagement de longue date de la France dans le Pacifique et sa contribution à la stabilité régionale ».

Cette semaine, Peters a annulé 20 millions de dollars néo-zélandais d'aide essentielle aux Îles Cook, une néo-colonie néo-zélandaise, en représailles de la signature récente d'un accord stratégique (article en anglais) avec la Chine. Peters a insisté pour dire qu'il aurait dû être consulté sur le texte avant sa signature, une prétention catégoriquement rejetée par le Premier ministre des Îles Cook, Mark Brown.

Peters a effectué plusieurs déplacements en Nouvelle-Calédonie, le plus récent en mai, pour soutenir le ministre français des Outre-mer, Manuel Valls, et la «poursuite du dialogue sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie». Peters a faussement prétendu que ces discussions témoignaient des «efforts de bonne foi déployés pour rétablir la paix et la stabilité en Nouvelle-Calédonie».

Suite au soulèvement de la jeunesse kanak l'an dernier, Valls a convoqué trois cycles de négociations multipartites sur l'avenir politique du territoire. Les émeutes généralisées ont fait 14 morts, principalement aux mains des gendarmes français, et les dégâts ont été estimés à 2,2 milliards d'euros. Alimentée par les inégalités sociales, le chômage et le désespoir économique, la rébellion a opposé une partie importante de la jeunesse kanake, non seulement à l'oppression coloniale française, mais aussi à l'establishment politique du territoire, notamment aux partis indépendantistes kanaks.

Une proposition présentée par Valls lors d'un « conclave » à huis clos au début du mois dernier prévoyait une forme de « souveraineté en lien avec la France », incluant le transfert de pouvoirs clés – défense, ordre public, monnaie, affaires étrangères, justice – de Paris à la Nouvelle-Calédonie et la double nationalité kanake-française. Les partis « loyalistes » pro-français les plus radicaux se sont opposés à cette proposition, affirmant qu'elle ne tenait pas compte de trois référendums organisés entre 2018 et 2021, qui avaient tous rejeté l'indépendance.

Les négociations visaient à élaborer un nouveau document destiné à remplacer l'Accord de Nouméa de 1998, relatif au «partage du pouvoir», et à permettre d’envisager que la Nouvelle-Calédonie ait une Constitution propre. Le mouvement indépendantiste s'est scindé (article en anglais) en décembre, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) réclamant une pleine souveraineté et les factions « modérées » souhaitant un accord partagé avec Paris.

Valls s'est dit déterminé à finaliser le processus de décolonisation de la Nouvelle-Calédonie. En réponse, les dirigeants du parti de droite LR (Les Républicains) et d’extrême droite RN (Rassemblement national), le vice-président François-Xavier Bellamy et Marine Le Pen, se sont rendus à Nouméa le mois dernier. Bellamy a déclaré devant ses partisans que le processus de décolonisation prévu par l'Accord de Nouméa de 1998 était désormais terminé.

Depuis six semaines, les négociations sont dans l'impasse. Macron a déclaré aux dirigeants du Pacifique qu'il convoquerait un nouveau sommet à Paris dans les semaines à venir «pour réunir à nouveau toutes les parties prenantes et parvenir à un nouveau projet». La construction d'une « solution politique pour la Nouvelle-Calédonie est toujours en cours» a-t-il déclaré.

Macron s'est dit conscient des inquiétudes régionales suscitées par «les événements qui ont déstabilisé la Nouvelle-Calédonie il y a un an». Il a insisté pour dire que l'État français avait «respecté ses engagements» en organisant les référendums. «Mais il y a un an, des violences » avaient éclaté, « déclenchées par plusieurs facteurs […] que nous avons pris très au sérieux».

Les éloges de Macron pour les référendums sont pure supercherie. Les résultats du troisième et dernier plébiscite avaient enregistré 96,49 pour cent de voix contre l’indépendance et seulement 3,51 pour cent pour, avec un faible taux de participation de 43,9 pour cent. La population kanake avait boycotté le scrutin, car il avait été organisé en pleine propagation de la COVID-19.

Le soulèvement de l'année dernière était la conséquence directe de la domination coloniale française sur le territoire. Une modification unilatérale par le Parlement français des conditions d'éligibilité aux élections locales en Nouvelle-Calédonie a été le déclencheur immédiat des sept mois d'émeutes. Cet amendement constitutionnel visait à «dégeler» les listes électorales, qui ne permettent de voter qu'aux personnes nées dans la colonie ou y ayant résidé avant 1998.

Les Kanaks autochtones craignaient que cette mesure ne les marginalise davantage politiquement, face à la dégradation de leurs conditions économiques et sociales. La France a réagi par une répression policière et militaire brutale. Le nombre de membres des forces de sécurité dans la colonie a dépassé les 7 000. Les villages kanaks, considérés comme des foyers de résistance, ont été soumis à des barrages routiers permanents, à des fouilles corporelles, y compris sur les enfants, et aux harcèlements policiers.

Christian Téin, accusé par les autorités françaises d'être le «meneur» de la rébellion, a été libéré la semaine dernière d'une prison française où il était incarcéré en attente de jugement depuis près d'un an. Dans une décision rendue le 3 juin, trois magistrats ont estimé qu'il n'y avait pas de motifs suffisants pour le maintenir en détention. Les conditions de libération de Téin exigent qu'il continue de résider en France pendant sa détention provisoire.

Téin était le plus influent des sept militants indépendantistes arrêtés lors d'un raid matinal à Nouméa le 19 juin dernier. Ils ont été inculpés et, sans préavis, transférés par avion en France métropolitaine pour y être placés en détention dans l'attente de leur procès. Téin et dix autres membres du CCAT (Comité de coordination des actions de terrain), soupçonnés d'être le principal groupe organisateur des émeutes, sont toujours poursuivis pour des chefs d'accusation allant de la destruction organisée de biens et de propriétés à l'incitation au meurtre ou à la tentative de meurtre sur la police.

L'intervention des dirigeants de droite et d'extrême droite à Nouméa laisse penser que le sort de la Nouvelle-Calédonie pourrait bien devenir un enjeu politique majeur en France. Quelle que soit l'issue de l'impasse actuelle, rien dans les négociations ne permettra de résoudre les problèmes fondamentaux à l'origine des troubles anti-coloniaux, déclenchés par la pauvreté, les inégalités, le chômage et le désespoir social.

De plus, la France n'acceptera aucun accord qui menacerait sa position géostratégique dans le Pacifique, ni non plus sa base militaire clé de Nouméa, alors que la campagne de guerre menée par les États-Unis contre la Chine s'intensifie. Quel que soit le type d'« indépendance », elle sera très limitée et soumise aux grandes puissances et institutions financières capitalistes.

(Article paru en anglais le 21 juin 2025)

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