L'ex-présidente péroniste argentine condamnée à une assignation à résidence et à une interdiction politique à vie

La pseudo-gauche apporte un soutien politique au péronisme

Cristina Fernández de Kirchner salue ses partisans, le 7 juin, La Cámpora, Buenos Aires [Photo: @CFKArgentina]

Le 10 juin, la Cour suprême argentine a confirmé une peine de six ans de prison contre l'ancienne présidente péroniste Cristina Fernández de Kirchner (CFK). Elle avait été reconnue coupable de fraude le 6 décembre 2022, comme de nombreux autres accusés, à l'issue d'un long procès concernant des contrats de construction routière attribués illégalement sur plusieurs années à une entreprise appartenant à l'homme d'affaires multimillionnaire Lázaro Báez, dans la province de Santa Cruz. La Cour a également interdit à CFK de se présenter à des élections de toute sa vie, suite à son annonce qu’elle voulait briguer un poste législatif dans la province de Buenos Aires.

Fernández a été reconnue coupable d'avoir accepté des pots-de-vin dans le cadre de contrats de construction de routes dans la province de Santa Cruz, entre 2003 et 2015, durant le mandat de son défunt mari Nestor Kirchner et ses deux mandats à elle. Nestor Kirchner est décédé en 2010, après une longue carrière politique à Santa Cruz et à la présidence.

La Cour suprême a accordé à CFK plusieurs jours pour se rendre au siège du Tribunal pénal fédéral à Buenos Aires, dans le bâtiment Comodoro Py, pour le traitement final de son dossier.

En conclusion de cette audience, Cristina Fernández a qualifié la longue procédure et la décision du tribunal de «guerre juridique » [‘lawfare’], un détournement intentionnel du système judiciaire à des fins politiques. Plus qu'une simple bataille juridique a déclaré l'ex-présidente, c’était «un peloton d'exécution. »

L'interdiction politique de Fernández, qui reste de facto la dirigeante politique du péronisme, la tendance politique bourgeoise la plus importante du pays, représente une escalade majeure dans la tendance de la classe dirigeante argentine et du gouvernement du président fasciste Javier Milei à criminaliser l'opposition politique et à instaurer une dictature policière. Milei défend ouvertement les crimes de la dernière dictature militaire.

Cette opération est menée en collaboration avec le gouvernement Trump, qui avait déjà interdit à CFK d’entrer aux États-Unis en mars, l’accusant d’être impliquée dans une «corruption importante».

Déjà en septembre 2022, un tireur lié à l’extrême droite brésilienne proche des milieux d'extrême droite du mouvement de Milei avait tenté d'assassiner CFK.

Le prédécesseur péroniste de Milei, Alberto Fernández, et sa vice-présidente, CFK, supervisèrent un régime d'austérité sociale brutal dicté par le Fonds monétaire international, préparant ainsi la victoire de Milei aux élections malgré la promesse de ce dernier d'une « thérapie de choc» économique encore plus agressive. En tant qu'«opposition» nominale, les députés, gouverneurs et bureaucraties syndicales péronistes ont accordé des votes à ses lois et négocié certaines de ses attaques les plus radicales contre les institutions sociales et les droits démocratiques.

Face à un bouleversement constant de grèves et de manifestations de masse que l'appareil syndical dirigé par les péronistes a de plus en plus de mal à contenir, la décision de la classe dirigeante de s’en prendre à CFK n'est pas due au fait qu'elle considère le péronisme comme une menace à son assaut contre la classe ouvrière, mais bien plutôt parce qu'elle cherche à faire un exemple et à criminaliser toute opposition venue d'en bas.

Le mercredi 18 juin, un tribunal fédéral de Buenos Aires a accepté la requête de CFK de purger sa peine à son domicile, sous des conditions strictes. Outre les restrictions concernant les visites, on ignore encore si elle pourra accéder au balcon de son appartement de 300 000 dollars à Buenos Aires. La loi argentine autorise les condamnés de plus de 70 ans à purger leur peine à domicile.

La Cour a toutefois confirmé l’interdiction pour elle de se présenter à des élections politiques.

Le matin du jugement, des milliers de personnes ont commencé à se rassembler sur la place de Mai, au centre de Buenos Aires, pour protester. Des groupes organisés par la Coalition de la gauche et du Front ouvrier (FIT-U) ont défilé depuis la place de l'Obélisque et dans le centre-ville de Buenos Aires. Des manifestations de masse ont également eu lieu dans la ville industrielle de Córdoba, dans le port de Rosario et dans d'autres grandes villes.

Les bureaucrates des centrales syndicales CGT et CTA, les partisans du Mouvement péroniste Campora (dirigé par le fils de l'ancien président, Máximo Kirchner), du Parti justicialiste de CFK et d'autres groupes péronistes ont été rejoints par un nombre important de travailleurs et d'étudiants.

Le jugement et l'interdiction imposée à CFK ont été exploités par les défenseurs de longue date du péronisme parmi les partis de la pseudo-gauche petite-bourgeoise pour la présenter comme une martyre politique. Comme l'écrivait alors le WSWS, l'élection de Milei a prouvé que, « pour les travailleurs, l'appareil péroniste est composé d'une bande de fonctionnaires corrompus et de bureaucrates syndicaux voyous qui conspirent pour faire respecter les diktats des trusts et des banques. » Aujourd'hui, les partenaires pseudo de gauche du péronisme saisissent toutes les occasions possibles pour restaurer la crédibilité et le soutien de ce parti bourgeois.

Pour le dire franchement, ces efforts ne peuvent qu’aider à désarmer politiquement la classe ouvrière dans la lutte contre le fascisme et la dictature, de la même manière que ces mêmes tendances ont désarmé les travailleurs avant la dictature brutale du général Rafael Videla (1976-1983).

Myriam Bregman, députée du PTS moréniste (Partido de los Trabajadores Socialistas) qui dirige le FIT-U, a publié plusieurs déclarations exprimant son soutien politique inconditionnel à CFK. S'adressant aux journalistes des médias patronaux, elle a déclaré :

Dans une démocratie capitaliste aussi restrictive que celle dans laquelle nous vivons, la Cour suprême s'arroge encore plus de droits, celui de décider qui peut ou non se porter candidat. Nous pensons qu'il est nécessaire de mener des mobilisations massives dans tout le pays, que des mesures de lutte doivent être prises afin que personne ne soit distrait, car cela dépasse le cadre de l'affaire immédiate. Il s'agit d'un message politique d'attaque antidémocratique qui, comme toute attaque antidémocratique, comme l'histoire de notre pays l'a montré, finit inévitablement par être dirigée contre le peuple.

Les propos de CFK lors de l'audience ont ensuite été approuvés par Jorge Altamira, fondateur du Partido Obrero pseudo-de gauche et chef de sa faction dissidente Política Obrera, dans une récente interview. Altamira y a rejeté le jugement, le décrivant comme une machination politique similaire à celle menée contre le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, condamné en 2014 pour son implication dans le scandale Odebrecht (par le biais de l’Operaçāo Lava Jato), facilitant l'élection du fasciste Jair Bolsonaro.

Gabriel Solano, dirigeant du Partido Obrero et membre du FIT-U, a lui aussi été interviewé à la radio où il a tenu des propos similaires, reconnaissant la culpabilité de CFK pour fraude, mais insistant pour dire que «tout le monde commet une fraude» et que l'attaque la visant était politique. «Il est évident qu'il s'agit d'une persécution politique», a-t-il déclaré. Solano a ensuite expliqué que le PO ne soutenait pas Kirchner, évoquant la complicité de membres du gouvernement de CFK dans le meurtre de Mariano Ferreyra, un membre du PO, le 20 octobre 2010, lors d'une manifestation de cheminots de la Roca, attaqués par des hommes de main du Syndicat des cheminots, protégés par la police. Ferreyra fut abattu ainsi que deux autres personnes. Ferreyra décéda à l'hôpital.

La privatisation partielle des lignes ferroviaires argentines, nationalisées par le premier régime péroniste, s'est déroulée sous la régie du gouvernement de Néstor Kirchner, avec la collaboration du gouvernement, des syndicats et des entreprises privées. Elle a permis l'embauche d'intérimaires à bas salaires dans des conditions de surexploitation extrême. Un bénéficiaire de tout cela fut le Syndicat des cheminots, partenaire à part entière de la compagnie ferroviaire Roca et qui avait recruté les nervis qui attaquèrent les travailleurs le 20 octobre 2010.

La mort de Mariano Ferreyra a déclenché des manifestations de masse. Il y a neuf ans, le film « Quién Mató a Maryano Ferreira ? » (Qui a tué Mariano Ferreyra ?) a révélé le crime et la complicité des Kirchner. De 1 minute 06 secondes à 1 minute 10 secondes du film, le dirigeant du syndicat des cheminots, Pedraza, l’organisateur des escadrons de nervis, évoque ses liens avec le ministère du Travail et avec Néstor et Cristina Kirchner.

Solano a déclaré: « Nous avons des ‘affaires en suspens’ avec CFK […] cependant, nous défendrons son droit de se présenter.»

Altamira et Solano insistent pour dire que la participation de leur tendance à ces marches ne signifie pas un soutien politique à CFK ou au péronisme. C'est là une imposture : si l'ancien président de droite Macri ou le fasciste Milei avaient été à la place de Cristina, ils se seraient abstenus de manifester pour leur compte. Ces mouvements présentent CFK comme une alternative capitaliste de moindre mal pour la classe ouvrière.

Derrière le refus criminel du FIT-U de créer une véritable alternative ouvrière se cache son orientation de classe petite-bourgeoise hostile à la classe ouvrière, ce qui explique sa facile adaptation au culte de la personnalité concernant ce «who's who» d'ennemis de la classe ouvrière: Juan Domingo Perón, sa première femme Evita, Carlos Menem, Néstor Kirchner et Cristina Fernández. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour détourner la classe ouvrière argentine de la révolution sociale et la pousser vers les programmes bourgeois et nationalistes de ceux-ci et leur faux anti-impérialisme.

Il ne fait aucun doute que les Kirchner ont participé avec d’autres à un système de pots-de-vin relatifs à des travaux publics et en ont tiré profit.

En réalité, la fraude et la corruption sont une caractéristique des gouvernements capitalistes et intrinsèques au fonctionnement du capitalisme. Les responsables gouvernementaux exploitent des informations privilégiées et des relations avec les entreprises pour enrichir les actionnaires, les PDG et eux-mêmes (comme lors du tristement célèbre scandale Enron de 2001). Ces pratiques corrompues se poursuivent aujourd'hui dans le monde entier, sous Milei, qui a supprimé l'agence enquêtant sur sa participation à une escroquerie aux cryptomonnaies, ou sous les gouvernement de Netanyahou, Trump ou Pedro Sanchez en Espagne, tous empêtrés aujourd'hui dans des scandales croissants de corruption.

La menace d’une dictature fasciste – l’affaire CFK jetant les bases d’attaques beaucoup plus vastes contre les droits démocratiques – ne peut être sous-estimée ; mais la lutte contre elle ne peut se fonder que sur une sobre évaluation du rôle joué par les péronistes et la pseudo-gauche dans le fait de désarmer toute résistance viable de la classe ouvrière fondée sur un programme révolutionnaire, socialiste et internationaliste.

(Article paru en anglais le 20 juin 2025)

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