La nourriture utilisée comme arme de guerre dans la militarisation américano-israélienne de l'aide à Gaza

Des Palestiniens transportent des cartons contenant de la nourriture et des colis d'aide humanitaire livrés par la Fondation humanitaire de Gaza, organisation soutenue par les États-Unis et approuvée par Israël, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le mardi 27 mai 2025 [AP Photo/Abdel Kareem Hana]

Gaza est désormais décrite par les Nations Unies comme «l’endroit le plus affamé de la planète», toute sa population de 2,2 millions de personnes étant menacée de famine en raison de la campagne militaire israélienne en cours et de l’utilisation systématique d’une tactique de la famine.

La mission humanitaire de l'ONU à Gaza est considérée comme «la plus entravée de l'histoire récente» ; les convois d'aide sont bloqués ou restreints aux points de passage. Jens Laerke, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), a déclaré :

L’opération d’aide que nous avons préparée est limitée par un carcan opérationnel, ce qui en fait l’une des opérations de secours les plus entravées, non seulement à l’échelle mondiale aujourd’hui, mais aussi des derniers temps.

Sur le terrain, les Palestiniens décrivent une vie de faim et de privations incessantes. Un habitant a confié à Al Jazeera: «Je n'ai ni farine, ni huile, ni sucre, ni nourriture. Je ramasse du pain moisi […] Je veux de la farine pour mes enfants. Je veux manger. J'ai faim ».

Hani Mahmoud, qui informe depuis la ville de Gaza, a noté que le nord, y compris la ville de Gaza même, n'a reçu aucune aide ces derniers jours, tandis que les habitants des régions du centre et du sud comme Khan Younès et Rafah luttent quotidiennement pour se procurer même des produits de base comme la farine.

La distribution d'aide est devenue un moyen supplémentaire pour Israël de massacrer les Palestiniens. Save the Children rapporte que des dizaines de personnes ont été tuées et blessées par les Forces de défense israéliennes (FDI) dans des sites de distribution d'aide militarisés, où on enjoint à des civils désespérés de récupérer des colis alimentaires insuffisants pour finalement tirer sur eux.

Ahmad Alhendawi, directeur régional de Save the Children, a condamné la situation ainsi:

Il s'agit d'une aide à laquelle les populations ont légalement droit, une aide qui leur a été systématiquement refusée. Il s'agit d'un mépris flagrant et choquant du droit international humanitaire.

La Fondation humanitaire pour Gaza (GHF), soutenue par les États-Unis et Israël, est désormais le principal canal d'acheminement de l'aide à Gaza. Le Département d'État américain envisage une contribution de 500 millions de dollars, ce qui en ferait le principal donateur et lui permettrait ainsi d’avoir la «mainmise » sur l'opération. La GHF prétend fournir de la nourriture et des médicaments à des centaines de milliers de personnes, mais il est largement reconnu que son modèle aggrave la crise.

Les organisations humanitaires et les agences des Nations Unies affirment que l'approche du GHF viole les principes humanitaires fondamentaux d'indépendance, de neutralité et d'impartialité, et qu'elle vise à servir les intérêts israéliens et américains dans le déplacement de la population civile de Gaza. Le Programme alimentaire mondial (PAM) déclare :

L’opération GHF constitue une violation des principes humanitaires […] Le PAM et ses partenaires doivent également être autorisés à distribuer des colis alimentaires directement aux familles, le moyen le plus efficace de prévenir une famine généralisée.

Au lieu de cela, le GHF a remplacé des centaines de points de distribution locaux par une poignée de « sites sécurisés », obligeant les Palestiniens à traverser des terrains dangereux et des points de contrôle biométriques pour recevoir des rations de base. Ces plate-formes ne fournissent que des produits secs, sans se soucier du manque d'eau potable ou de combustible pour cuisiner. Le résultat est qu’on jette des produits de façon rudimentaire et non qu’on fait une véritable aide humanitaire.

Une analyse du 6 juin de l'International Crisis Group, intitulée « L'expérience de la famine à Gaza », décrit le GHF comme faisant partie intégrante de la stratégie militaire israélienne et transformant la nourriture en arme de guerre. Depuis le début de la guerre, Israël contrôle étroitement l'aide, n'assouplissant les restrictions que sous l'étroite surveillance internationale et les renforçant à mesure que cette attention décroît.

Le Crisis Group écrit :

Le monde semble assister à une expérimentation : une tentative de maintenir indéfiniment la population de Gaza sous le seuil de famine, tout en transformant la nourriture en arme de guerre. La capacité de production alimentaire locale de Gaza étant quasiment détruite, contrôler les points de passage revient désormais à contrôler la survie même.

Selon la Classification de la phase intégrée de la sécurité alimentaire (IPC), les 2,2 millions de Palestiniens de Gaza sont confrontés à une insécurité alimentaire potentiellement mortelle : plus de la moitié sont en « Urgence » (Phase 4), survivant avec des miettes, et près d’un quart sont en « Catastrophe » (Phase 5), où la nourriture disparaît et les communautés s’effondrent. Le GHF promet 1 750 calories par jour à ceux qui atteignent ses centres, bien en deçà des 2 279 calories par jour qu’Israël même considérait autrefois comme le minimum pour éviter la malnutrition.

Le Crisis Group conclut :

Il en résulte une famine calibrée comme politique, et non comme effet secondaire. Le goulot d'étranglement n'a jamais résidé dans la logistique, mais dans la prise de décision : dans quelle mesure la privation sert les intérêts d'Israël, par opposition au risque qu'elle représente pour sa réputation internationale.

Le rapport de situation n°174 de l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA), publié le 7 juin 2025, dresse un tableau désastreux de la catastrophe humanitaire à Gaza et en Cisjordanie. Selon ce rapport, entre le 7 octobre 2023 et le 4 juin 2025, au moins 54 607 Palestiniens ont été tués, la majorité à Gaza, et des dizaines de milliers d'autres blessés.

Le rapport souligne que la population est confrontée à des «niveaux sans précédent de faim, de déplacement et de traumatisme», avec plus de 1,7 million de personnes – environ 75 pour cent de la population de Gaza – déplacées, dont beaucoup de nombreuses fois.

L'UNRWA prévient que sa capacité à fournir une aide vitale est «au bord de l'effondrement». Les systèmes de santé, d'éducation et de distribution alimentaire de l'agence sont paralysés par les hostilités persistantes, le manque de carburant et les attaques répétées contre ses installations. Le rapport indique que «la capacité de l'UNRWA à fournir l'aide la plus élémentaire diminue rapidement, car les stocks s'épuisent et les membres du personnel sont tués ou blessés dans l'exercice de leurs fonctions».

Le blocus et les restrictions à l'accès humanitaire continuent d'empêcher l'entrée de fournitures essentielles, notamment de nourriture, d'eau et de médicaments. L'UNRWA souligne que «le risque de famine demeure aigu», la malnutrition et les maladies d'origine hydrique se propageant rapidement, en particulier chez les enfants. L'agence appelle à «un accès humanitaire sans entrave, à la protection des civils et à un cessez-le-feu immédiat» afin d'éviter de nouvelles pertes humaines et des dommages irréversibles à la population.

Le dernier rapport souligne les privations systématiques et l’urgence croissante auxquelles sont confrontés les Palestiniens, renforçant les avertissements des groupes humanitaires selon lesquels Gaza est au bord de l’effondrement social complet.

Alors que la crise humanitaire s'aggrave, des militants internationaux ont cherché à briser le blocus. La Flottille de la Liberté, à laquelle participe la militante écologiste Greta Thunberg, a tenté d’acheminer de l'aide directement à Gaza. Hier, l’armée israélienne a intercepté la flottille et arrêté son équipage après qu’Israël a averti que toute tentative de briser le blocus serait stoppée, y compris par le recours à la force si nécessaire.

Les responsables israéliens avaient déclaré qu'ils «ne permettraient pas à la flottille d'atteindre les côtes de Gaza», prétextant des préoccupations de sécurité.

Des responsables américains avaient fait écho à la ligne dure d'Israël contre la Flottille de la Liberté. Interrogée sur la mission de la flottille, la Maison Blanche a déclaré qu'«aucun navire non autorisé ne sera autorisé à s'approcher de Gaza» et que les États-Unis soutiendraient «toutes les mesures nécessaires» pour faire respecter le blocus.

Le sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, est allé encore plus loin en lançant un avertissement glaçant citant spécifiquement la militante suédoise pour le climat Greta Thunberg. Il a déclaré : « Si Greta Thunberg et ses amis tentent de briser le blocus, ils feraient mieux de savoir nager. »

Cette déclaration illustre la volonté du gouvernement américain de menacer de violence les efforts humanitaires pacifiques. Les propos de Graham s'inscrivent dans le contexte des menaces croissantes auxquelles sont confrontés ceux qui tentent de briser le blocus et d'apporter une aide humanitaire indispensable à la population affamée de Gaza.

Gaza est confrontée à une famine créée de toutes pièces, alimentée non seulement par les bombes et les balles, mais encore par la manipulation délibérée de l'aide et de la nourriture dont on a fait des instruments de guerre impérialiste et de génocide. Le monde assiste, en temps réel, à l'utilisation de la famine comme arme de nettoyage ethnique contre les Palestiniens, un crime contre l'humanité d'une ampleur historique.

(Article paru en anglais le 9 juin 2023)

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